Mode institutionnel de distribution et d'occupation des terres, implanté en Nouvelle-France en 1627 et aboli officiellement en 1854. La Compagnie des cent associés, qui se fait octroyer le territoire en toute propriété, justice et seigneurie obtient aussi le droit d'aménager l'espace et de répartir les terres selon les modalités qu'elle juge les plus avantageuses. Ainsi, la terre est concédée à titre de fief et de seigneurie - un vestige du système féodal - aux personnages les plus importants de la colonie, qui, à leur tour, concèdent des portions de leur seigneurie à des censitaires (voir Habitant).
Règles, objectifs et évolution
Ce système de distribution des terres est régi par des règles juridiques et présente plusieurs avantages. Il vise à favoriser le peuplement et à encadrer la population d'une façon systématique. Le découpage des terres en longues bandes rectangulaires est particulièrement bien adapté aux impératifs géographiques, puisqu'il facilite les relations entre voisins et procure de multiples accès au fleuve qui constitue la principale voie de communication à l'époque. Les terres sont suffisamment grandes (habituellement 3 arpents par 30 Arpents) pour assurer une certaine aisance aux familles des habitants. Enfin, le système seigneurial instaure, entre le seigneur et le censitaire, des rapports étroits et individuels.
L'État fixe une série de règles régissant le fonctionnement du système et les rapports entre les seigneurs et leurs censitaires. Le principe est que l'État accorde à une personne, qui ainsi devient seigneur, une portion de territoire à mettre en valeur, par l'exploitation directe et par la concession de censives à des habitants qui en font la demande. À son tour, le seigneur concède une terre, habituellement par contrat devant notaire. Ces actes de concession précisent les droits, les obligations et les charges de chacune des parties. Le seigneur bénéficie de droits onéreux et de droits honorifiques. Il peut établir une cour de justice, ériger un moulin et organiser une commune. Il perçoit de l'habitant diverses redevances : le cens, une redevance légère datant de la période féodale, qui réaffirme la sujétion théorique du censitaire au seigneur ; la rente, en argent ou en nature ; et les banalités, c'est-à-dire la part prélevée sur la production céréalière que l'habitant doit faire moudre au moulin du seigneur. Il accorde, ou non, des droits de chasse, de pêche et de coupe du bois. À partir du premier tiers du XVIIIe siècle, il en vient à exiger quelques journées de corvées par année.
Hiérarchie et inégalités sociales
Le régime seigneurial est souvent présenté comme un simple mode de distribution et d’occupation des terres. Or, des travaux récents proposent une relecture de cette interprétation traditionnelle et mettent en évidence une dimension souvent occultée du régime seigneurial. Véritable institution, celle-ci aurait joué un rôle de premier plan dans la construction, voire la continuité des rapports sociaux en Nouvelle-France. Aux yeux de certains historiens, elle représente « l'essence même de la hiérarchie et de l'inégalité sociale qui caractérisent la France d'avant la Révolution ». Qu’ils soient d’origine noble ou roturière, les seigneurs sont des privilégiés et la perception du cens marque les rapports hiérarchiques entre seigneur et censitaire. Par contre, il ne faut pas y voir une oppression du censitaire par le seigneur. La disponibilité des terres aux XVIIe et XVIIIe siècles donne à l’habitant le choix de son lieu d’établissement. Aussi, les seigneurs trop exigeants, absents ou qui négligent de développer leur seigneurie attirent plus difficilement les colons.
Rôle au sein de la société
Au coeur de la politique de colonisation de la France, le système seigneurial en arrive à jouer un rôle majeur dans la société québécoise traditionnelle. Malgré l'attrait des villes et du commerce des fourrures, jusqu'au milieu du XIXe siècle, de 75 % à 80 % de la population vit sur le territoire seigneurial. Les quelque 200 seigneuries concédées durant le régime français couvrent presque tout le territoire habité et en particulier les deux rives du fleuve Saint-Laurent entre Québec et Montréal, les vallées de la Chaudière et de la Richelieu et s'étendent jusqu'en Gaspésie. D'autres institutions s'alignent sur les frontières seigneuriales, en particulier la paroisse, la milice et, au XIXe siècle, les municipalités. Concédée à des nobles, à des institutions religieuses (en retour des services d'éducation et d'hospitalisation), à des officiers, à des administrateurs civils ou à de grands bourgeois, la seigneurie couvre en général une à trois lieues de largeur par la même profondeur.
Ce mode d'occupation des terres laisse des traces évidentes dans le paysage québécois et dans les mentalités. L'habitant, qui s'offusque de se faire appeler paysan, fait de sa terre une unité économique de survie pour sa famille. Chacun peut espérer en tirer la majeure partie des biens et des produits nécessaires à la vie. Le rang, la côte et, à compter du début du XIXe siècle, le village traduisent l'importance des rapports de voisinage, de famille et d'entraide. La terre ancestrale et le bien paternel prennent une connotation patrimoniale.
Les seigneuries après la Conquête
Après la cession du Canada à l'Angleterre en 1763, un nouveau système de distribution des terres, les townships, est mis en place. Le régime seigneurial est de plus en plus considéré comme un système fondé sur le privilège et une entrave au développement économique. La loi de 1854 abolit le régime seigneurial et permet au censitaire de racheter les droits sur sa terre. Il faut cependant attendre jusqu'au milieu du XXe siècle pour que disparaissent les derniers vestiges de cette institution qui a profondément marqué la société québécoise traditionnelle.
En effet, les censitaires incapables de rembourser le montant du capital de la rente, se virent contraints de verser des redevances annuelles en « rentes constituées », payables à perpétuité. Chaque année, à la Saint-Martin (11 novembre), le « censitaire » doit se rendre au manoir seigneurial pour verser sa rente. Donc, si les droits et devoirs sont abolis par la loi de 1854, ni la propriété seigneuriale ni la relation seigneur-censitaire ne le sont dans les faits. En 1928, une enquête du Bureau de la statistique du Québec montre que des rentes sont toujours perçues dans 190 seigneuries (pour un capital total de 3 577 573 $). Les versements annuels des censitaires représentent un montant de plus de 200 000 $, payés par près de 60 000 familles.
Afin de mettre un terme une fois pour toutes à l’institution seigneuriale, l’État québécois crée en 1935, le Syndicat national du rachat des rentes seigneuriales (SNRRS). Son mandat est d'effectuer, au nom des conseils de comtés et des villes indépendantes, le paiement final des rentes constituées aux détenteurs de droits seigneuriaux sur leur territoire. Pour ce faire, le SNRRS contracte un emprunt garanti par le gouvernement et devient le créancier de plusieurs municipalités du Québec. En échange, celles-ci doivent préparer un rôle spécial de perception, fixant le montant que le censitaire doit remettre au syndicat annuellement, en même temps que la taxe foncière. Les sommes perçues sont ensuite remises au Syndicat pour servir au remboursement de l'emprunt, amorti sur une période de 41 ans. Le dernier versement au SNRRS par les municipalités sera ainsi effectué en 1970. Certains censitaires vont donc payer pendant une trentaine d’années la « taxe » municipale instaurée pour remplacer l’ancienne rente constituée.
La prégnance de l’institution seigneuriale ne se résume donc pas uniquement à une question de paysage et de toponymie; elle marque de manière importante l’histoire de certaines municipalités du Québec. D’anciens seigneurs ont d’ailleurs joué un rôle important en politique municipale, devenant les premiers maires de leur localité. De plus, le souvenir de certaines familles seigneuriales se perpétue dans l’imaginaire québécois. Ainsi, on trouve au XXe siècle, quelques exemples d’honneurs seigneuriaux rendus aux descendants des familles seigneuriales. C’est le cas de Pierre Boucher de Boucherville inhumé sous l’église Sainte-Famille de Boucherville en 1957. Encore aujourd’hui, les Tessier de Beauport et les Taschereau de Sainte-Marie de Beauce sont perçus en regard de l’institution seigneuriale.