Le Corps canadien, qui compte plus de 100 000 soldats à la fin de 1916, fut au combat pendant toute la Première Guerre mondiale sur le front de l’Ouest, le long d’un réseau de tranchées s’étalant sur 700 km, de la Suisse à la mer du Nord. Renverser les armées ennemies, bien situées sur des terrains idéaux et protégées par des barbelés, des armes à feu, de l’artillerie et de nombreux renforts ne fut pas chose facile. Au fil des années, les armées des deux camps développent de nouvelles armes et de nouvelles tactiques, afin de sortir l’impasse militaire. Les Canadiens sont au premier rang de cette évolution et acquièrent une solide réputation de troupes de choc lorsque celles-ci aidèrent à résoudre l’énigme des tranchées grâce à leur approche interarmes novatrice.
Enlisement du front de l’Ouest, 1914
Bien que les généraux à la tête des armées combattantes de 1914 pensent mener une guerre de mouvement, où la cavalerie et l’infanterie à progression rapide vaincraient les forces ennemies de façon agressive en les approchant par les flancs et en les attaquant d’une position favorable, la puissance des armes modernes — canons à tir rapide, mitrailleuses et artillerie — fait des dizaines de milliers de victimes dès les premiers mois des hostilités.
Ce bilan lourd et inattendu cause l’interruption de la guerre de mouvement sur le front de l’Ouest à la fin de l’an 1914. Les Allemands occupent alors la majorité de la Belgique et du nord-est de la France et choisissent les endroits les plus stratégiques pour se défendre, en général sur le sommet d’une colline entourée de bons champs de tir, d’où ils voient la position de l’ennemi et dans laquelle les renforts creusent des abris pour se protéger des bombardements. Renverser des armées ennemies si bien situées et protégées demande un degré d’inventivité considérable. C’est pourquoi les différents contingents évoluent et s’adaptent constamment, développant de nouvelles armes et de nouvelles tactiques afin de sortir de l’impasse et de vaincre l’ennemi.
Impasse du front de l’Ouest
Une fois que les attaques sont réduites à des assauts au front lancés contre des positions préparées, les deux camps creusent des tranchées afin de se protéger des balles et des obus. Au fil du temps se rajoutent aux tranchées principales des lignes secondaires et tertiaires. On assiste alors à une véritable impasse sur le front de l’Ouest : de vastes armées se réfugient dans des forteresses souterraines plutôt que de s’affronter sur les champs de bataille, devenus déserts. Car de remonter à la surface de la Terre signifie, pour les soldats, une mort assurée.
La mémoire populaire de la Grande Guerre est celle de commandants des champs de bataille entravés par l’impasse et incapables d’imaginer des stratégies militaires autres que celle d’envoyer l’infanterie foncer au front contre les lignes ennemies, pourtant protégées par des barbelés et équipées de mitrailleuses et d’artillerie. L’horripilant bilan des victimes semble témoigner, en effet, des tactiques médiocres et des généraux corrompus qui régnaient lors de la Première Guerre. Malgré tout, en marge de l’impasse au front qui dure pendant presque toutes les hostilités, les armées font preuve d’innovation constante, tant dans les armes que dans les tactiques, pour résoudre l’énigme des tranchées.
Forces de combat canadiennes, 1914-1915
Le premier contingent du Canada, qui compte plus de 31 000 soldats, quitte le pays en octobre 2014 pour se rendre à Salisbury Plain, au sud de l’Angleterre, où elle s’entraîne pendant quatre mois. Les soldats canadiens de ce premier groupe sont en grande partie d’origine britannique et la plupart ont une formation ou une expérience militaire. Ils sont impatients d’aller combattre au front de l’Ouest, mais par chance, les Britanniques ne les mobilisent pas d’emblée, et les soldats canadiens manquent le carnage des champs de bataille à la fin de 1914.
Plutôt, les Canadiens paradent, tirent avec leurs fusils Ross de fabrication canadienne sur des cibles, et pratiquent la bataille à la baïonnette avec des épouvantails. Tout cela, au cours de l’un des hivers les plus misérables de l’histoire de la Grande-Bretagne, avec plus de 89 jours de pluie sur 120. Les terrains de parade sont des véritables bains de boue, mais les Canadiens gardent le courage et l’esprit grâce à la bière, aux chansons et à la camaraderie.
La Division canadienne compte environ 18 000 hommes qui sont enfin mobilisés au front de l’Ouest en février 1915 (le reste des troupes, c’est-à-dire environ 13 000 soldats du premier contingent, reste en Angleterre à titre de renforts). La 1re Division, dirigée par le lieutenant-général E.A.H. Alderson, soldat britannique professionnel, est constituée de trois brigades d’infanterie, chacune composée de quatre bataillons de 1000 hommes. La plupart des bataillons et des batteries d’artillerie sont commandés par des Canadiens, mais la grande majorité des officiers d’état-major (responsables de la logistique, de la formation et de la gestion) sont des professionnels britanniques.
La Division réunit autour de 12 000 fantassins provenant de partout au pays et issus de différentes classes sociales. À Ottawa, au début de la guerre, le gouvernement canadien décide d’éviter les noms historiques pour ses milices, comme the Queen’s Own Rifles of Canada ou the Seaforth Highlanders of Canada, et donne plutôt aux brigades des chiffres, comme le 4e ou le 10e Bataillon. Ainsi, on évite la compétition et la rivalité contre-productive entre les nouveaux bataillons, qui sont formés outre-mer à partir d’unités militaires variées. Il y a également, au sein de la Division, plusieurs milliers d’artilleurs qui manœuvrent 54 canons de campagne 18-pounder, 4 canons 60-pounder et 18 obusiers 4.5-inch, qui lancent des obus plus lourds et porteurs. S’ajoutent également à la Division des ingénieurs, des unités médicales et des équipes de transport.
Fusil Ross
Les fantassins du Canada sont armés du fusil Ross. Pendant la Guerre des Boers (1899-1902), le Canada ne réussit pas à équiper ses forces armées avec le fusil britannique Lee-Enfield, faute de disponibilité du produit. En 1902, le gouvernement libéral du Canada décide que le pays fabriquera ses propres fusils. D’abord conçu par sir Charles Ross, le fusil Ross connaît beaucoup d’adaptations et d’évolution, comme, par exemple, un allongement considérable du canon au fil des ans. Bien qu’il soit très précis, le fusil canadien est vite considéré comme étant beaucoup moins efficace que son équivalent britannique, le Lee-Enfield, qui tire de façon plus consistante les munitions pour armes légères souvent de mauvaise qualité produites à la chaîne pendant la guerre. Le fusil Ross échouera à titre d’arme de champ de bataille et de tranchées.
Tranchées
À l’instar de tous les soldats au front, les Canadiens arrivent perplexes dans les tranchées. L’enthousiasme des troupes pour le combat s’estompe rapidement du fait que celles-ci vivent sous terre, se trouvent dans de la boue collante, fixent des sacs de sable remplis de boue enlignés dans les tranchées et observent avec dégoût les dizaines de milliers de rats qui se nourrissent des cadavres. Ou, encore plus insoutenable, être témoin de la mort atroce d’un camarade à même les tranchées (d’une balle dans la tête ou d’un éclat d’obus qui déchiquette les corps) sans pouvoir faire quoi que ce soit. Les fantassins qui tentent de grimper par-dessus les tranchées pour tirer sur l’ennemi deviennent automatiquement des cibles, sans oublier qu’il n’y a pas grand ennemis sur lesquels tirer, puisqu’ils sont eux aussi à l’abri dans leurs propres tranchées. Au mois de mars 1915, 278 soldats canadiens tombent au combat.
Deuxième bataille d’Ypres, avril 1915
Le premier grand engagement du Canada a lieu lors de la deuxième bataille d’Ypres, en Belgique, au saillant d’Ypres, une protubérance sur les lignes alliées à l’est de la ville d’Ypres. Les Alliés (troupes britanniques, françaises et canadiennes) tentent de conserver la ville contre une offensive allemande souhaitant créer une diversion qui couvrirait les déplacements de ses troupes vers le front oriental, où les Allemands combattent les Russes. L’Allemagne rassemble ses troupes en mars 2015, et celles-ci passent à l’assaut le mois suivant lorsqu’elles lancent pour la première fois une attaque au chlore gazeux. Le gaz, transporté jusqu’au front sous forme liquide dans de grands contenants métalliques afin d’y être lancé, nécessitait des vents forts pour se rendre jusqu’aux lignes alliées.
Le 22 avril, les conditions météorologiques que les Allemands, mal à l’aise, attendaient depuis longtemps permettent le déploiement du gaz. Un nuage toxique d’une largeur de 6 km dérive vers les lignes françaises, au nord et à l’ouest de la Division canadienne. Derrière le nuage de gaz, les fantassins allemands, portant leur habituel uniforme gris et leurs fusils Mauser tentent de pénétrer dans le trou créé par le chlore gazeux dans les lignes françaises, là où les soldats avaient évacué ou encore suffoqué.
Le chlore gazeux attaque les poumons et obstrue les voies respiratoires, causant ultimement la mort par asphyxie en raison de leurs propres fluides. Ayant évité le gros du gaz, les Canadiens tiennent leur position et tirent sur les troupes allemandes. Plus tard dans la journée du 22 avril, ils lancent leur toute première attaque de la Grande Guerre lorsqu’ils envoient deux bataillons charger à la baïonnette les troupes allemandes qui se sont réfugiées dans la forêt de Kitchener.
Les Canadiens contre-attaquent presque sans arrêt pendant quatre jours pour défendre leur position. Le 24 avril, ils sont victimes d’une seconde attaque de gaz, avec comme seuls masques à gaz des linges mouillés. Les quatre mitrailleuses Colt par bataillon, qui nécessitent chacune une équipe de deux soldats, sont des armes d’une valeur incalculable qui permet aux Canadiens de tenir le coup. Mais la pression incessante de l’ennemi et les nombreux bombardements contraignent ceux-ci à battre en retraite. Malgré cela, la ténacité des Canadiens fait gagner aux Alliés du temps précieux, qui permet aux troupes britanniques et françaises d’aller chercher des renforts. Bien que le chlore gazeux scandalise le Canada (et le reste du monde), c’est d’abord et avant tout les balles traditionnelles et les obus qui tuent ou blessent la plupart des 6000 Canadiens morts au cours de cette bataille.
La deuxième bataille d’Ypres permet aux Canadiens de se démarquer. On ne peut malheureusement en dire autant du fusil Ross, qui prouve son inefficacité au combat en s’enrayant constamment lorsqu’on l’actionne rapidement. Ce qui n’empêche pas le ministre canadien de la Milice et de la Défense Sam Hughes, qui tient à gérer les forces canadiennes sur le terrain depuis son bureau à Ottawa, de demeurer un grand défenseur du fusil Ross, qu’il perçoit comme un symbole de fierté militaire canadienne. Sam Hughes refuse de permettre de le remplacer par le Lee-Enfield. Il faudra presque un an et de nombreux autres exemples de l’inaptitude de l’arme avant que le Canada n’équipe ses soldats avec le fusil Lee-Enfield. Pendant ce temps, cette situation a causé un tort irréparable à la relation entre Sam Hughes et le lieutenant-général E.A.H. Alderson.
Guerre des tranchées, 1915
Les troupes canadiennes participent à une autre grande bataille, celle de Festubert, en France, en mai 1915. Ils y sont massacrés lors d’assauts au front contre des troupes ennemies ancrées dans leurs positions; le bilan des morts y est tragique. Après avoir perdu 2 500 hommes à Festubert, les Canadiens décident de s’installer dans l’ennui, la banalité et la brutalité des tranchées.
Du fait qu’ils ne participent à aucune autre grande bataille en 1915, les troupes canadiennes commencent à expérimenter de nouvelles armes, dont les grenades. Fabriqués à partir de boîtes métalliques de confiture remplies de clous et de poudre à canon, ces projectiles explosifs extrêmement imprévisibles sont allumés puis lancés par un soldat vers les lignes ennemies. Il n’est pas rare que les grenades détonent prématurément et arrachent, entre autres choses, les mains des soldats. En l’espace de quelques mois, cependant, la grenade Mills No 5 commence à être usinée en Angleterre. Beaucoup plus stable et meurtrière que sa prédécesseure, la grenade industrielle (souvent qualifiée de bombe pendant la guerre) peut être lancée jusqu’à 35 mètres et, avec de simples modifications, elle peut parcourir jusqu’à 200 mètres si elle est propulsée par un canon.
D’un côté comme de l’autre, les bombardements d’obus continuent tout au long de la guerre, et les fantassins au front se frustrent du fait qu’ils ne peuvent contre-attaquer. Des tireurs embusqués attendent, camouflés, et tirent sur quiconque est assez déraisonnable pour se découvrir. Pour les tireurs embusqués canadiens, le fusil Ross s’avère une arme efficace, puisqu’ils ne tirent qu’à une ou deux reprises et qu’elle est très précise avec son viseur télescopique.
Patrouilles et raids
La nuit, des patrouilles d’espions se faufilent dans le no man’s land, cette zone située entre les premières lignes des deux armées ennemies et pouvant faire jusqu’à plusieurs centaines de mètres de long, pour surveiller les tranchées allemandes, mettre à l’épreuve les fortifications de l’ennemi et créer des ouvertures dans le barbelé. En novembre 1915, les Canadiens, suivant l’exemple d’unités britanniques, planifient un raid audacieux sur les lignes ennemies. Dans la nuit du 17 novembre, à la ferme Petite Douve en sol belge, les soldats canadiens lancent leur attaque : l’opération de type « frappe et cours » dans laquelle un certain nombre de soldats allemands sont tués et des prisonniers sont libérés.
Les commandants, qui apprécient la nature agressive des raids, en exigent davantage. En résulte une nouvelle tactique de guerre, moins intensive que la guerre de mouvement : les patrouilles et les raids sont lancés chaque nuit contre les lignes ennemies. Des opérations du genre demandent parfois la participation de quelques éclaireurs ou de plusieurs centaines de soldats. Les plus grands raids sont appuyés par l’artillerie, les mitrailleurs et des dispositions médicales complexes.
Les Allemands lancent leurs propres opérations de nuit, sans toutefois surpasser les Canadiens, qui acquièrent une réputation de patrouilleurs efficaces et coriaces. Ces opérations mineures aiguisent les tactiques des Canadiens. D’un autre point de vue, elles aggravent aussi le bilan des victimes, du côté des Allemands comme des Alliés. La paix est loin de s’installer au front.
Apprentissage du combat
Les raids apprennent aux Canadiens l’importance de bien coordonner les opérations de l’infanterie avec l’artillerie lors d’assauts contre les lignes ennemies. Par exemple, avancer jusqu’aux barbelés des tranchées ennemies avant que ceux-ci ne soient détruits par de puissants explosifs est carrément suicidaire. Or, détruire les barbelés avec des obus s’avère inefficace, puisque la plupart des projectiles finissent enterrés avant même qu’ils n’explosent. Il faut attendre la fin de 1916 pour la mise au point de mèches plus sensibles (principalement la mèche 106), et encore plus pour leur fabrication en grande quantité. Les nouvelles mèches font donc en sorte qu’il suffit d’un tout petit impact avec la mèche pour que l’obus explose. L’évolution de l’artillerie pendant la guerre introduit de nouveaux fusils à plus gros calibre, une plus grande variété de projectiles, des mèches fiables ainsi que des tactiques perfectionnées et des avancées technologiques permettant, notamment, de localiser les armes ennemies.
Les mortiers font leur apparition au début de la guerre, mais ils sont encombrants et leurs munitions s’épuisent trop rapidement. Ils sont néanmoins l’une des armes de prédilection des Allemands, et les Canadiens apprennent vite à se méfier des bombes remplies de puissants explosifs qui sont larguées jusque dans leurs tranchées.
Plus le combat gagne en intensité, plus la puissance de feu est en demande au front. La mitrailleuse Vickers, lourde et hydraulique, remplace ainsi la mitrailleuse Colt à la fin de 1915 puisqu’elle crache des centaines de balles par minute. La Vickers, opérée par cinq soldats, est souvent placée au sein d’unités de mitrailleuses indépendantes (et plus tard au sein de bataillons) afin d’en augmenter la puissance de feu. C’est une arme dévastatrice : elle fonctionne aussi bien en défensive qu’en offensive, puisqu’elle tire des milliers de balles en direction des tranchées ennemies et des environs.
À l’été 1915, l’infanterie acquiert elle aussi une nouvelle arme, le fusil-mitrailleur Lewis, automatique et léger, constitué d’un chargeur de 47 coups. Moins puissant et moins rapide que la lourde mitrailleuse Vickers, le fusil-mitrailleur Lewis permet aux fantassins d’avancer au front. De plus en plus de pelotons et unités d’infanterie l’utilisent durant les hostilités.
Bataille de la Somme, 1916 [H2]
À l’été 1916, les Français et les Britanniques lancent leur tant attendue offensive contre les lignes allemandes sur les rives du fleuve de la Somme, au nord de la France. Ce devait être à l’origine une opération française, mais les Allemands viennent tout changer les plans avec la bataille de Verdun, déclenchée sur la partie sud du front français en février 1916. Celle-ci, se poursuivant pendant une grande partie de l’année, oblige les Français à confier l’offensive aux Britanniques. Ces derniers fournissent donc de nombreux renforts à la Somme afin de compenser les pertes sanglantes que subit l’armée française plus au sud. La stratégie du commandant en chef du Corps expéditionnaire britannique sir Douglas Haig favorise avant tout la puissance de feu.
En réponse aux millions de bombardements d’obus, les ingénieux défenseurs allemands creusent tout simplement plus creux pour se protéger; jusqu’à 50 mètres sous terre. Lorsque les bombardements britanniques précédant le combat cessent, pour permettre à l’infanterie de traverser le no man’s land afin de livrer bataille à l’ennemi, les Allemands (qui, pour la plupart, ont les oreilles qui cillent ou, au plus, souffrent d’une commotion) remontent en vitesse les tranchées et tirent sur les vulnérables fantassins.
La percée du front allemand à la Somme grâce à la tactique de bombardements de masse n’eut jamais lieu. La bataille, déclenchée le 1er juillet 1916 et se terminant à la mi-novembre, révèle plutôt que les ressources des Allemands — barbelés et systèmes de tranchées en profondeur — s’avèrent difficiles à surmonter.
Canadiens à la Somme
La première journée de la bataille de la Somme est une catastrophe. Le 1er juillet, les forces britanniques se jettent dans la gueule du loup et les fusils allemands font près de 60 000 victimes. Environ 700 des 800 soldats du Royal Newfoundland Regiment qui participaient à la bataille sont tués ou blessés lors d’une attaque à Beaumont Hamel. Les troupes canadiennes, du fait qu’elles ont combattu à la sanglante bataille du mont Sorrel dans le saillant d’Ypres plus tôt en juin, sont exemptées du massacre du 1er juillet, mais elles sont appelées à servir à la Somme à partir du mois de septembre. Au fil des batailles, le Corps canadien, maintenant composé de trois divisions (une quatrième allait s’ajouter en octobre), réussit à s’emparer de quelques positions clés, notamment le village en ruines de Courcelette, le 15 septembre. Les coûts sont toutefois désastreux : au-delà de 24 000 Canadiens sont tués ou blessés. Les Britanniques tentent de percer le front ennemi en utilisant pour la toute première fois le char d’assaut à Courcelette, mais les chars d’assaut sont facilement immobilisés par les obus et ils tombent souvent en panne au milieu du champ de bataille. Le bilan de la bataille de la Somme n’est pas convaincant : les lignes de front allemandes ne sont repoussées que de quelques kilomètres, au coût de plus d’un million de victimes pour les Britanniques, les Français, les Dominions et les Allemands.
Réformes
Au lendemain des batailles de la Somme et de Verdun, les deux camps repensent leur façon de combattre. Un nombre accru d’obus et de fusils ne fait ni vainqueurs ni vaincus, pas plus que l’introduction des chars d’assaut, l’ajout d’avions, les mines antipersonnel et un recours plus important aux nouvelles armes chimiques. Les attaquants doivent couper les barbelés de l’ennemi et créer assez d’ouvertures pour permettre à l’infanterie d’avancer; tuer ou supprimer la défense ennemie, en particulier les équipes de mitrailleuses; détruire les armes ennemies en arrière des lignes; et défendre les territoires récemment conquis contre les contre-attaques rapides qui forcent souvent les attaquants affaiblis à renoncer aux tranchées qu’ils viennent de remporter. En définitive, la Somme prouve qu’il n’y a pas de solution facile à l’impasse du front de l’Ouest.
Le Corps canadien, maintenant constitué de quatre divisions et sous le commandement du lieutenant-général sir Julian Byng, entreprend de nouvelles réformes après le carnage de la Somme. La direction des pelotons et des sections d’infanterie est de plus en plus décentralisée, et l’information et les plans de bataille sont partagés avec les rangs inférieurs. Les officiers juniors ont été massacrés en grand nombre pendant la bataille de la Somme causant de la confusion sur le champ de bataille; dorénavant, les sous-officiers supérieurs et les hommes de troupe utilisent la puissance de feu de leur peloton (mitrailleuses, grenades et fusils Lewis) pour combattre et progresser sur le champ de bataille.
L’artillerie revoit elle aussi ses tactiques et commence à employer des principes scientifiques afin de mieux localiser les armes ennemies cachées. Une contre-batterie spécialisée du Corps canadien (la Canadian Corps Counter Battery Office) est établie en 1917 sous le commandement d’un ancien professeur d’ingénierie à l’Université McGill, Andrew McNaughton, qui allait diriger l’armée canadienne lors de la Deuxième Guerre mondiale. Cet organe utilise des méthodes sophistiquées qui captent le son des armes ennemies cachées tirant des obus et qui, ensuite, triangulent la position des armes en question. On y emploie également la méthode de repérage par les lueurs, qui repose elle aussi sur des sites d’observation multiples afin de repérer les éclairs de feu causés par les tirs et de trianguler la position des armes. Ces tactiques permettent à l’artillerie canadienne de trouver et de détruire des positions ennemies à l’aide de puissants explosifs et de gaz de combat.
La tactique du barrage roulant est aussi affinée après sa première utilisation à la Somme. Des centaines de fusils forment un mur qui progresse lentement dans le but de détruire le système de tranchées ennemi, en tuant les défenseurs ou en les forçant à se réfugier sous terre. À la Somme, l’artillerie cessait souvent ses bombardements au moment où l’infanterie commençait à sortir des tranchées, signalant ainsi le début de l’attaque des Alliés. À l’hiver 1916-1917, l’infanterie se place juste en arrière du barrage roulant formé par l’artillerie, ce qui la protège. Cette tactique garde l’ennemi en position vulnérable, tout en prévenant les fantassins d’une mort certaine avant qu’ils n’atteignent les lignes allemandes. Les forces canadiennes et britanniques s’attendent à perdre des soldats à cause de leurs propres tirs, lorsque ces derniers franchissent le barrage, mais cela est une amélioration vis-à-vis du massacre des troupes prises au piège dans le no man’s land.
Bataille de la crête de Vimy
Les Canadiens utilisent donc ces tactiques afin de remporter la victoire de la bataille de la crête de Vimy, du 9 au 12 avril 1917. La formidable crête de 7 km de long était aux mains des Allemands depuis le début de la guerre, et ceux-ci l’avaient défendue férocement contre de multiples attaques des Alliés. Mais les troupes de sir Julian Byng sont bien préparées : les quatre divisions du Corps canadien, qui représentent plus de 100 000 hommes, participent à l’offensive du 9 avril 1917.
L’infanterie suit le barrage roulant le long de la crête et repousse les Allemands lors de nombreuses petites batailles. Grenades, fusils et mitrailleuses anéantissent des points forts de l’ennemi. De nombreux témoignages rapportent l’utilisation de baïonnettes par les fantassins afin de repousser l’ennemi ou le forcer à capituler; la baïonnette munie d’une lame de 17 pouces fait ses débuts en 1914 et continue de jouer un rôle important sur le champ de bataille. Pour l’une des premières fois sur le front de l’Ouest, les Alliés remportent de façon décisive une position fortifiée aux mains de l’ennemi. Cette victoire devrait toutefois s’ensuivre d’une série de campagnes victorieuses afin de remporter la guerre.
Côte 70 et Passchendaele
Bien que les tactiques et les armes pouvant mener à la victoire soient élaborées, elles demeurent difficiles à reproduire de façon constante. Chaque bataille a son propre terrain et sa propre météo, et la force et le moral de l’ennemi influencent chaque fois l’issue du combat. Les Canadiens combattent avec vigueur à l’été et à l’automne 1917 à la Côte 70 et à Passchendaele, où ils l’emportent sur les Allemands, mais où ils perdent aussi un nombre accablant de soldats.
Lors de l’attaque de la Côte 70 au mois d’août, près de la crête de Vimy au nord de la France, les Canadiens déploient leur infanterie, leur artillerie et leurs mitrailleuses afin de s’emparer d’une position ennemie et de lancer une véritable pluie d’obus et de balles qui anéantit la contre-attaque des forces ennemies. Les Canadiens ne font qu’une bouchée des Allemands.
Toutefois, à Passchendaele, en octobre et en novembre 1917, un malheureux mélange d’obus et de pluie transforme le champ de bataille à l’est d’Ypres, la Belgique, en bain de boue et de cadavres déterrés. Le Corps canadien, maintenant sous le commandement de sir Arthur Currie, se voit obligé de trouver d’autres moyens de gagner dans la boue. Employant le barrage roulant et le tir de contre-batterie pour supprimer la défense et les armes ennemies, les Canadiens, à l’issue de quatre attaques méthodiques (les 26 et 30 octobre et les 6 et 10 novembre) réussissent à se sortir de la boue et à remporter la crête. La victoire coûte au Canada 16 000 victimes de plus, mais les soldats canadiens solidifient leur réputation de force d’élite.
Offensives allemandes
La dernière année de la Grande Guerre voit encore plus d’avancées militaires. Les Allemands forcent la Russie à se retirer du conflit au début de 1918 et imposent de dures conditions de paix. La victoire à l’Est leur permet de transférer des douzaines de divisions vers le front de l’Ouest pour une ultime attaque contre les Alliés. L’Allemagne souhaite alors la capitulation de la France ou de la Grande-Bretagne avant que la pleine puissance des États-Unis (qui entre en guerre en avril 1917) ne se déploie complètement.
Le 21 mars 1918, derrière un mur de bombardements de puissants explosifs, d’éclats d’obus et de gaz de combat, les unités d’infanterie allemande avancent rapidement et attaquent les lignes alliées. En combattant et en progressant autour des points forts, plutôt que d’essayer de les attaquer directement, les Allemands font des avancées majeures, perçant d’abord les lignes britanniques et, ensuite, les lignes françaises. Dans le chaos de la bataille, des soldats alliés se retrouvent derrière les lignes ennemies, et des milliers d’entre eux se rendent. Après plus d’une semaine de défaites, les Britanniques réussissent enfin à ralentir l’offensive allemande grâce à une défense résiliente. Les Allemands arrivent presque à pénétrer les tranchées, mais le nombre de victimes est horrible, car l’infanterie doit avancer au-delà de la portée de leur artillerie et faire face, sans puissance de feu, aux tirs et à la défense des Alliés. Cette attaque désespérée, qui perdure pendant trois mois, fait plus de 800 000 morts ou blessés du côté des Allemands.
Guerre interarmes et offensive des Cent-Jours, 1918
Les Alliés contre-attaquent à l’est de Paris en juillet 1918, à la seconde bataille de la Marne, puis au nord de la France, le 8 août, à Amiens. Lors de cette opération, les Corps canadien et australien sont le fer de lance d’une attaque conjointe britannique et française majeure. La bataille, planifiée en secret, est le point culminant de presque quatre ans de réformes stratégiques. Les armes et les tactiques en place depuis 1917 sont maintenant réunies dans une approche d’armes combinées qui voit les sections d’infanterie avancer derrière les barrages roulants formés par l’artillerie, les chars et les véhicules blindés se précipiter au combat, les avions de combat détruire des cibles au sol et rapporter aux quartiers généraux les positions des cibles ennemies ou la progression des troupes, et les mitrailleuses et les tirs de mortier, en plus des gaz toxiques, s’acharner contre l’ennemi. Le front est percé le 8 août, mais l’avancée des Alliés sur plus de 13 km en un seul coup laisse derrière l’artillerie et les lignes de logistique, ce qui permet aux Allemands d’appeler des renforts au front.
La bataille d’Amiens, qui bat son plein du 8 au 11 août 1918, mais qui ne se termine que quelques jours plus tard, marque le début de l’offensive des Cent-Jours, qui constitue une série de coups qui écrasent sans pitié les lignes allemandes, portés par toutes les forces alliées sur le front de l’Ouest. Le Corps canadien d’élite, qui alimente ses divisions avec les soldats circonscrits, est mobilisé lors de plusieurs batailles. Il aide à remporter des positions ennemies, notamment à Arras, la ligne Hindenburg, Cambrai et enfin, lors du dernier jour de la guerre, le 11 novembre, la ville de Mons, en Belgique.
Le Corps canadien vainc l’ennemi grâce à une approche interarmes bien rodée, utilisant toutes les armes à sa disposition. Ces armes offensives, doublées de soldats déterminés et de commandements productifs, surpassent la puissance des armes défensives et des fortifications des défenseurs du front de l’Ouest.
Les Canadiens se forgent une réputation de troupes de choc : ils sont reconnus comme l’une des forces de combat les plus efficaces du Corps expéditionnaire britannique. Malgré tout, l’offensive des Cent-Jours et le combat incessant qu’elle engendre infligent au Canada plus de 45 000 victimes. Les Alliés remportent la victoire contre les Allemands, mais à un prix dévastateur pour les pays combattants.