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États généraux du Canada français

Organisés entre 1966 et 1969, les États généraux du Canada français sont une série d’assises rassemblant plus d’un millier de délégués du Québec, de l’Acadie, de l’Ontario et de l’Ouest canadien. Derniers grands rassemblements patriotiques dans les suites des Congrès de la langue française (tenus en 1912, 1937 et 1952), ils constituent un tournant dans l’histoire du nationalisme canadien-français et celle des relations entre le Québec et la francophonie canadienne.


Origines

L’idée de convoquer des États généraux est émise pour la première fois en juin 1961 à l’occasion d’un congrès conjoint entre les Fédérations des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec (ci-après FSSJBQ) et de l’Ontario. Dans le contexte de la Révolution tranquille, de la séparation des pouvoirs de l’Église et de l’État et de la place grandissante qu’occupe la question nationale au Québec, les dirigeants sentent le besoin de poser un geste modérateur permettant à la société civile de réfléchir à l’avenir constitutionnel de la nation canadienne-française, d’en débattre et d’orienter les réformes.

Pilotée par la FSSJBQ, une première rencontre a lieu en août 1962. À Québec, le député de l’Union nationale, et futur premier ministre, Jean-Jacques Bertrand se fait partisan du projet. Son intervention force d’ailleurs le gouvernement libéral de Jean Lesage à instituer le Comité parlementaire de la Constitution (juin 1963). À l’automne1963, la FSSJBQ remet ses premières ébauches sur les objectifs et les structures des États généraux. Elle nomme un coordonnateur et produit un rapport final en décembre.

Fondation et assises préliminaires de 1966

Ce travail débouche le 4 avril 1964 sur la convocation de l’assemblée de fondation des États généraux. Le texte adopté par la cinquantaine de participants stipule l’urgence de situer la réalité présente de la nation et d’en définir l’orientation vitale. Elle demande également la collaboration des spécialistes et des groupements qui constituent la nation organisée.

Cet appel traduit l’empressement, au sein des Sociétés Saint-Jean-Baptiste, à résoudre la crise des institutions que traverse le Canada français. À leur avis, les législateurs seuls ne sont pas habilités à prendre des décisions au nom du Canada français. Communauté d’histoire, de langue et de culture, la nation se manifeste concrètement à travers un dense réseau d’associations, souvent à caractère confessionnel. La logique des États généraux renvoie donc à cette conception organique de la nation.

Entre 1964 et 1966, l’organisme traverse plusieurs crises. La montée du mouvement souverainiste au Québec crée un climat de désunion dans les rangs de la FSSJBQ. Le projet est mis temporairement en veilleuse, puis est relancé à l’automne1965. Le nouveau directeur, Léo Gagné, s’adjoint les services de personnalités connues, notamment le constitutionnaliste Jacques-Yvan Morin et le directeur de la revue l’Action nationale, Rosaire Morin. Ces derniers assureront la direction des États généraux à partir du printemps 1966, moment où la FSSJBQ accorde son autonomie à l’organisation pour n’occuper qu’un rôle d’animation et de financement.

Des assises préliminaires ont lieu à l’Université de Montréal en novembre 1966.

Organisation et déroulement

Au départ, les États généraux sont régis par une assemblée annuelle composée d’associations et d’organismes de la société civile. L’assemblée élit une Commission générale formée d’une vingtaine de membres. Au fil du temps, cette structure se complexifie et le nombre de membres est porté à 37 afin de garantir la représentativité des francophones hors Québec et des corps intermédiaires. La Commission se choisit ensuite un conseil de direction, ce dernier étant épaulé par une commission technique et une commission administrative. Des comités sectoriels (culturel, social, économique, politique, etc.) viennent compléter l’organigramme.

La participation populaire est un enjeu de taille. La Commission générale comporte un double mécanisme de représentation. D’une part, certains délégués sont élus. Le 16 avril 1967, dans 105 circonscriptions du Québec, 8877 représentants d’institutions élisent 1575 délégués et 471 suppléants. D’autre part, les corps intermédiaires du Québec et de la francophonie canadienne choisissent leurs représentants. Ces deux mécanismes (électif et nominatif), ainsi que la territorialisation des délégations causent des maux de tête aux organisateurs qui doivent statuer sur le droit de vote. Finalement, les assises préliminaires adoptent une résolution donnant un droit de vote égal à tous les délégués.

Les assises se déroulent généralement dans le même ordre. Après les discours d’usage, les débats se font en commission. Lors des assises de 1966, 36commissions discutent de 24sujets. Chaque commission doit faire rapport à la séance plénière où sont adoptées les diverses résolutions.

Assises nationales de 1967 — un point de rupture ?

Du 23 au 27 novembre 1967, plus de 2000 délégués et observateurs, parmi lesquels 364 francophones de l’extérieur du Québec, participent aux travaux des assises nationales des États généraux du Canada français. Ces assises se déroulent dans un contexte particulier: c’est l’année du centenaire de la Confédération canadienne, de l’Exposition universelle de Montréal, Terre des Hommes, et de la déclaration du président français, Charles de Gaulle, sur le Québec libre lors de son passage à Montréal .

Pour plusieurs historiens, ces États généraux marquent une rupture dans les rapports entre les Québécois et les francophones hors Québec. Ici, deux conceptions de la nation s’entrechoquent: d’une part celle du Canada français traditionnel, d e l’autre, celle de la nation québécoise, à savoir une identité construite sur la promotion de la langue française, un territoire géographique ‒ celui du Québec ‒ et le rôle déterminant de l’État québécois dans la promotion du fait français en Amérique du Nord. Le débat atteint son point culminant lors de la discussion sur la résolution concernant le droit à l’autodétermination des Canadiens français. Reconnaissant, entre autres, le Québec comme territoire national du Canada français, la résolution conduit des délégués hors Québec à manifester leur dépit lors des interventions et du vote. Les Franco-Ontariens rejettent la résolution à 55% tandis que les francophones de l’Ouest répartissent également leurs suffrages entre l’acceptation, le rejet et l’abstention. La majorité des Acadiens (52%) et 98% des délégués québécois appuient cependant la résolution.

Assises de 1969

Les dernières assises ont lieu en mars 1969. Celles de 1967 ont cependant laissé des traces. Sur les 1866 inscriptions, seulement 125 proviennent des minorités francophones. Le dossier constitutionnel occupe encore le haut du pavé en raison de l’adoption d’une résolution réclamant la rédaction d’une constitution québécoise et de la convocation d’une assemblée constituante.

Mémoire et héritage

Les résultats des États généraux sont sujets à débats. Pour certains, ces derniers représentent le « dernier acte » de l’histoire du nationalisme canadien-français et marquent une rupture plus ou moins définitive entre le Québec et les minorités de langue française (voir Nationalisme francophone au Québec). Ils sont le symbole de la transformation du Canada français, de l’émergence des identités territorialisées (Québécois, Franco-Manitobains, Franco-Albertains, Franco-Ontariens, etc.) et des difficultés qui caractérisent le dialogue entre les groupes minoritaires au Canada et l’État du Québec. Les représentants des communautés hors Québec interprètent parfois ces changements comme un abandon des francophones résidant à l’extérieur du territoire québécois.

Pour d’autres, ils symbolisent un exercice démocratique sans précédent représentant le consensus nationaliste émanant de la Révolution tranquille. Les résolutions adoptées: droit à l’autodétermination, primauté de la langue française, extension des pouvoirs du Québec en matière de travail, de sécurité sociale, de relations internationales ou d’immigration vont influencer tant les souverainistes que les fédéralistes dans les décennies à venir.

Depuis, les historiens ont nuancé la thèse de la rupture émanant des États généraux. Sans minimiser l’impact de cet évènement dans la formation des identités francophones au Canada, ils ont cherché à comprendre comment les solidarités et les liens entre le Québec et la francophonie canadienne se sont reconstitués depuis la fin des années 1960.

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